Tomber en panne avec son véhicule n’est jamais une expérience agréable. Mais il y a pire : subir une avarie après l’intervention de son garagiste. Pourtant, contrairement aux idées reçues, la responsabilité de ce dernier n’est plus automatique. Bilan sur les contours de cette responsabilité singulière.
À l’heure actuelle, le consommateur moyen sait, dans une certaine mesure, que le garagiste-réparateur chez qui il apporte son véhicule sera soumis à une obligation dite de résultat.
Sur le plan sémantique, ce dispositif est plutôt simple à comprendre : « l’obligation de résultat » mise à la charge du garagiste signifie qu’il doit atteindre un « résultat », en l’occurrence celui d’un véhicule qui fonctionne correctement.
À défaut, sa responsabilité sera automatiquement engagée, quand bien même il n’aurait pas commis de faute. Cette responsabilité porte un nom : la « responsabilité de plein droit ».
L’application classique de l’obligation de résultat chez le garagiste
Pendant de nombreuses années, la jurisprudence rappelait systématiquement que le garagiste était soumis à une telle obligation et devait ainsi effectuer des réparations efficaces sur les véhicules confiés.
La Cour de cassation a également renforcé ce mécanisme en énonçant dans sa décision n°91-18.764 du 02 février 1994 que « l’obligation de résultat qui pèse sur le garagiste […] emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ».
De même, elle a pu en préciser le périmètre en statuant dans sa décision n°93-12.028 du 14 mars 1995 que « la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste-réparateur ne s’étend qu’aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat ».
Au visa de ces décisions, plusieurs conclusions pouvaient être tirées :
- La charge initiale de la preuve d’un manquement à l’obligation de résultat revient au client ;
- La responsabilité du garagiste ne s’étend qu’aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat ;
- Le manquement à l’obligation de résultat fait présumer l’existence d’une faute et un lien de causalité entre cette faute et le désordre affectant les éléments sur lesquels le garagiste est intervenu.
L’absence de faute, nouvel échappatoire pour le garagiste
Pourtant, en marge de ce qui vient d’être exposé, il est arrivé que la Cour de cassation rende des décisions avec une appréciation différente.
À titre d’exemple, l’affaire enregistrée sous le numéro n°18-24.365 du 05 février 2020.
Il s’agissait en l’espèce d’un particulier qui avait confié son véhicule de marque JAGUAR à un garagiste en vue d’une réparation.
La particularité : le client avait directement fourni la pièce à remplacer, en l’occurrence un catalyseur neuf.
Des défectuosités s’étant manifestées après l’intervention du professionnel, une procédure judiciaire avait été initiée par le propriétaire.
Sur la base de la jurisprudence connue en la matière, la Cour de cassation aurait dû retenir la responsabilité du garagiste car :
- Les désordres provenaient de la zone sur laquelle il était intervenu ;
- Il n’était pas parvenu au résultat escompté.
Or, la Cour de cassation a cette fois-ci écarté la responsabilité du professionnel en motivant sa décision comme suit : « le garagiste n’est intervenu sur le véhicule que pour effectuer, dans le respect des règles de l’art, l’installation du catalyseur défectueux acquis par M. Y… N… et que le dysfonctionnement de cette pièce, dont l’intérieur s’est immédiatement carbonisé, n’est pas imputable au garagiste ».
En somme, cette décision reprend la logique du célèbre adage « ad impossibilia nemo tenetur » traduit par « à l’impossible nul n’est tenu ».
Mais il faut bien reconnaître que le principe de l’obligation de résultat était quelque peu bousculé et il devenait compliqué pour les avocats de savoir comment se positionner stratégiquement.
Heureusement, par deux décisions rendues le 11 mai 2022, la Cour de cassation a clarifié la situation afin que ce régime de responsabilité soit bien compris par tous.
Les faits des deux décisions du 11 mai 2022
Les faits de la première affaire (n°20-18.867) sont les suivants.
Un garagiste initie une procédure d’injonction de payer à l’encontre de l’un de ses clients pour une facture qui restait en souffrance. Le client fait opposition et sollicite à titre reconventionnel une indemnisation d’un préjudice résultant de la persistance de dysfonctionnements du système de climatisation de son véhicule.
Le tribunal de première instance le déboute de cette demande, expliquant que le garagiste ne peut être tenu responsable d’un défaut qui persiste s’il n’est pas rattaché à ses interventions. Il précise également que la production d’une facture intitulée « atelier [X] » ne permettait pas d’établir un lien entre la défectuosité alléguée et l’intervention du garagiste.
Saisie du dossier, la Cour de cassation a alors cassé la décision rendue au motif que la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal avait été écartée à tort.
Les faits de la seconde affaire (n°20-19.732) sont, eux aussi, relativement simples.
En l’espèce, une propriétaire a amené à plusieurs reprises son véhicule chez un garagiste mais les désordres n’ont jamais été résolus.
La Cour d’appel de PAU a rejeté les demandes de la propriétaire, considérant que les dommages n’étaient pas imputables au garagiste mais à l’ancien propriétaire du véhicule.
Devant la Cour de cassation, la même motivation a été développée : la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal ne pouvaient pas être écartées.
La clarification apportée par la Cour de cassation
Dans le cadre de ces deux affaires, la Cour de cassation a fait preuve d’une véritable pédagogie pour clarifier les contours de la responsabilité du garagiste.
En effet, dans chacune de ses deux décisions, la Cour de cassation a inséré un paragraphe qui retraçait en quelques lignes toute l’évolution jurisprudentielle existant en la matière jusqu’à celle applicable actuellement.
Ce paragraphe mérite ainsi d’être cité mot pour mot :
« 4. S’il a été précédemment mis à la charge du garagiste une obligation de résultat (1re Civ., 2 février 1994, pourvoi n° 91-18.764, Bull. 1994, I, n° 41 ; 1re Civ., 8 décembre 1998 , pourvoi n° 94-11.848, Bull.1998, I, n° 343) ou une responsabilité de plein droit (1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-18.350, Bull. 2008, I, n°94 ; 1re Civ., 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-24.324, Bull. 2012, I, n° 227) et jugé que c’est l’obligation de résultat auquel le garagiste est tenu qui emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage (1re Civ., 8 décembre 1998, précité ; 1re Civ., 21 octobre 1997, pourvoi n° 95-16.717, Bull. 1197, I, n° 279), la référence à une telle obligation et un tel régime de responsabilité n’est pas justifiée dès lors qu’il a été admis que la responsabilité du garagiste pouvait être écartée, même si le résultat n’a pas été atteint, en prouvant qu’il n’a pas commis de faute (1re Civ., 2 février 1994, précité ; 1re Civ., 17 février 2016, pourvoi n° 15-14.012). Il y a donc lieu d’opérer une telle clarification ».
Il en résulte quel’obligation de résultat du garagiste, dans sa définition initiale, n’est plus d’actualité.
À la place, il serait plus pertinent de la qualifier « obligation de résultat atténuée ».
En effet, la responsabilité du garagiste est désormais à la frontière entre une responsabilité pour faute classique et une obligation de résultat stricte.
D’un côté, le garagiste peut échapper à sa responsabilité s’il démontre qu’il n’a commis aucune faute.
D’un autre côté, le client n’aura qu’à prouver que des désordres persistent après l’intervention du professionnel pour faire peser chez lui une présomption de faute et de causalité entre la faute et le dommage.
Ce régime est, certes, plus complexe, mais multiplie les avantages :
- Avec une charge probatoire allégée, le client pourra plus facilement faire valoir ses droits ;
- Le garagiste, scrupuleux et compétent ne sera pas responsable s’il prouve qu’il a agi dans les règles de l’art.
Ces deux décisions méritent donc d’être saluées.