La réforme des marchés publics : nouvel outil de politique publique pour les élus ?

Dans l’attribution des marchés publics, les élus locaux sont confrontés quotidiennement à une double exigence : D’une part respecter la libre concurrence telle qu’édictée par l’Union Européenne et d’autre part attribuer les marchés publics en fonction de critères « qualitatifs » qu’ils soient environnementaux, sociaux, ou économiques permettant de mettre en œuvre leur sensibilité politique. Où en est le curseur ? Le point sur la réforme des marchés publics entrée en vigueur le 1er avril 2016.

Avec l’adoption du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, l’entreprise de réforme du droit de la commande publique initiée en 2014 sous l’égide de l’Union Européenne est presque achevée. L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 est désormais complétée et s’applique pleinement depuis le 1er avril 2016. Fruit d’une longue évolution jurisprudentielle et s’inscrivant dans un contexte général de réorganisation du droit des contrats publics, ces textes rassemblent des dispositions autrefois morcelées en un corpus unique dont l’ultime étape sera l’adoption d’un véritable Code de la commande publique en 2018.

La réforme replace le contrat public au service des politiques publiques et apporte des solutions novatrices pour améliorer l’impact des achats publics. Les acheteurs publics ou privés vont pouvoir multiplier les effets de leurs dépenses : outre la prestation objet du marché, il devient possible d’agir sur le tissu économique, social et environnemental dans lequel cette dernière va s’insérer de la même manière que les consommateurs veulent de nos jours donner du sens à leur achat. Ce dernier devient ainsi éthique, local, durable, citoyen, un acte militant.

Si la démarche n’est pas totalement nouvelle (par exemple, depuis 1999 les collectivités publiques doivent s’assurer que leurs produits n’aient pas requis l’emploi de main-d’œuvre enfantine),il convient de saluer une évolution juridique  qui transforme le droit des marchés publics en « boîte à outils » à la disposition des politiques que les collectivités veulent mettre en œuvre au lieu de se cantonner à la recherche du meilleur achat.

De fait, dès la définition des besoins il devient possible d’effectuer un certain nombre de démarches (consultations, études de marchés, demandes d’avis, etc.), avec toutefois la difficulté de veiller à ne pas fausser la concurrence et de garantir le respect du principe de transparence. L’acheteur pourra aller jusqu’à exclure un opérateur ayant participé à la définition du besoin et ayant ainsi bénéficié d’informations privilégiées si la concurrence entre candidats au stade de la passation se trouve faussée.

De plus, le décret de 2016 encadre mieux la possibilité offerte aux acheteurs de définir leur besoin par référence à des spécifications techniques ou à des labels tant que ces derniers restent suffisamment accessibles à tous les candidats et que l’objet du marché public le justifie. Il est possible de faire référence à une marque ou à un procédé de fabrication sous réserve de ne pas favoriser ou éliminer certains candidats et qu’une mention « ou équivalent » soit insérée. Par exemple, le Conseil d’Etat a validé un CCTP exigeant une fixation de la toile de couverture d’une halle des sports « par des profilés métalliques inoxydables non visible et discret », considérant que l’objet du marché justifiait le recours à ce procédé (CE, 10 février 2016, Stés SMC2, req. n°382148) et que l’égalité entre les candidats était respectée dès lors que l’attributaire du marché n’était pas le seul à mettre en œuvre ce procédé.

Déjà, l’article 30 de l’ordonnance de 2015 prévoyait que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ». Outre les achats de véhicules, spécialement appréhendés par l’ordonnance, c’est l’ensemble des marchés qui doivent prendre en compte ces impératifs et ce dès leur conception. Ainsi, il est possible de réserver certains lots ou marchés aux « opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés » ou encore aux « entreprises de l’économie sociale et solidaire ».

La réforme autorise les acheteurs à limiter le nombre de lots pouvant être attribués à un même soumissionnaire et que ces derniers peuvent être autorisés à moduler leurs offres en fonction du nombre de lots emportés.

Une fois le besoin déterminé, il faut en déterminer les conditions d’exécution. Ici encore, le nouveau dispositif permet aux collectivités publiques d’apposer le sceau de leurs arbitrages politiques. En effet, les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public. Sur ce point, le lien est désormais très distendu dès lors que les conditions d’exécution se rapportent « à quelque égard que ce soit et à n’importe quel stade de leur cycle de vie » et ce de manière déconnectée de la satisfaction du besoin. L’introduction de la notion de cycle de vie est une véritable révolution dès lors qu’elle prend en compte l’intégralité de la chronologie de la prestation, soit de la R&D jusqu’au recyclage des déchets. Les acheteurs sont également autorisés à exiger que les moyens utilisés pour exécuter un marché soient localisés au sein de l’UE. Il est enfin possible d’interdire au titulaire de sous-traiter certaines tâches essentielles.

C’est enfin sur le terrain des critères de sélection des offres que la réforme ouvre le plus de possibilités d’action aux acheteurs. L’intégration d’un ou plusieurs critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux est précisée. Si l’article 62 du décret de 2016 donne une liste assez complète de critères au sein desquels il est intéressant de noter l’apparition de la notion de bien-être animal, il est possible d’en imaginer d’autres dès lors qu’ils sont justifiés par l’objet du marché ou ses conditions d’exécution et ne discriminent pas les candidats, comme par exemple un critère lié à la déconstruction ou au recyclage. S’il n’est toujours pas possible d’inclure le localisme comme critère, il est en revanche possible d’exiger des produits issus de cycles courts. Intégrant les évolutions récentes de la jurisprudence, à l’instar par exemple de l’arrêt Département de l’Isère du 25 mars 2013 (req. n° 364950) dans lequel le Conseil d’Etat avait admis la possibilité d’insérer un critère de mieux-disant social. L’acheteur peut également désormais décider d’examiner les offres avant les candidatures. Lorsqu’il fait usage de cette faculté, il s’assure que la vérification de l’absence de motifs d’exclusion et du respect des critères de sélection s’effectue de manière impartiale et transparente, afin que le marché public ne soit pas attribué à un soumissionnaire qui aurait dû être exclu ou qui ne remplit pas les critères de sélection établis par l’acheteur.

Avec un nouveau cadre unifié des marchés publics et en parallèle de la réforme des contrats de concession, les acheteurs disposent à présent d’un éventail juridique complet pour encadrer leur comportement sur les marchés et leur permettre de développer une véritable politique de l’achat public.

Pour plus d’information n’hésitez pas à contacter votre avocat Maître OPEX à Grenoble.

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